Redécouvrir le charme de Lutoslawski

Critiques musicales

(Première publication le 14 juin 2006)

J’ai récemment réécouté l’« Interlude » de la Symphonie n°4 de Witold Lutosławski (1913-1994), parue chez NAXOS.

Symphony No.4
Naxos
Witold Lutoslawski (Artiste)

Suite à mon récent article sur Rautavaara dans le contexte du néo-romantisme, j’ai ressorti certains de mes disques NAXOS. Et parmi eux, c’est Lutosławski qui a particulièrement retenu mon attention.

Lutosławski est un compositeur célèbre pour sa musique créée par la technique de l’aléatorisme contrôlé, employée notamment dans des œuvres telles que sa Symphonie n°3, la série des « Chaînes » (Chain series) ou ses « Jeux vénitiens ». Personnellement, j’affectionne particulièrement sa Symphonie n°3.

On ne peut qu’être impressionné par cette « course haletante et trébuchante » que suscitent la puissance et la soudaineté du motif « ta-ta-ta-ta ! ». Entremêlé à l’« aléatorisme contrôlé », cela engendre une « transformation du volume sonore et de la densité de la texture ». De plus, la maîtrise de la construction, qui saisit la tension intérieure de l’auditeur pour l’entraîner avec force, est admirable.

Un autre de ses charmes réside dans son sens harmonique singulier, que l’on pourrait décrire comme « amer et froid, mais d’une finesse veloutée au toucher ». L’« Interlude » dont il est question aujourd’hui permet d’en savourer pleinement la saveur.

Le tissu musical de la pièce est constitué par les cordes, qui présentent une « alternance continue de sonorités amples ». Sur cette trame, des phrases fragmentaires, semblables à des soliloques soupirés, apparaissent et disparaissent, empreintes d’un effet de perspective.

La manière dont cette perspective est créée est exquise : les expressions naïves (ou rustiques) des bois peuvent surgir au premier plan, un groupe de cordes peut sembler émerger d’un lointain profond, ou encore l’inverse (un bois naïf émergeant du lointain), créant ainsi une diversité pleine de subtilité.

Ce style est l’une des marques de fabrique de Lutosławski ; on en trouve des applications partielles dans nombre de ses œuvres, et le premier de ses « Trois Postludes » en offre un exemple simple et efficace.

Concernant l’« Interlude », un moment particulièrement remarquable se situe aux alentours de 3 minutes 37 secondes : une sonorité douce et subtilement parfumée des cordes, suivie d’une ligne descendante du trombone et du son des cloches tubulaires. Après ce point culminant sur le plan structurel, la musique s’engage sur une voie de convergence et de résolution progressive (littéralement, une réduction du nombre de notes constitutives).

Cet « Interlude » a été conçu pour relier « Chaîne 2 » (Chain 2) et la « Partita » lors de concerts, mais personnellement, je recommanderais plutôt de le savourer comme une pièce autonome.

Bien que j’hésite à commenter d’un point de vue que l’on pourrait qualifier d’« écoute pharmacologique » (écouter la musique pour ses effets spécifiques), cette pièce donne l’impression de provoquer chez l’auditeur un « éveil tranquille », distinct d’une simple relaxation. Et elle évoque quelque chose comme un espace vaste et clos.

Pour l’anecdote, j’avais initialement acheté le CD contenant cette pièce pour la Symphonie n°4, et n’avais donc écouté l’« Interlude » que distraitement. En le réécoutant cette fois, avec une oreille affûtée par mon exploration de Rautavaara, j’ai été saisi d’admiration pour son univers musical. Cette expérience m’a également amené à réfléchir à l’influence de l’état d’esprit de l’auditeur et de son attitude d’écoute sur sa perception, étant donné que je n’y avais pas réagi lors de la première écoute.

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Profil      

Créant de la musique crossover expérimentale basée sur le jazz et la musique classique. Fort de son expérience dans la composition pour des productions théâtrales et des jeux vidéo, il cherche à créer de la musique avec une forte dimension narrative.
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