- L’angle mort de l’environnement de production en MAO
- La grammaire et l’accent du « langage DAW » : la forme concrète des contraintes invisibles
- L’illusion d’un « médium transparent » et l’autocensure de la « voix intérieure »
- Se libérer du « langage DAW », ou utiliser l’« accent » : un esprit de « jeu » pour transformer les contraintes en jeu
- Vers une nouvelle relation avec la MAO
L’angle mort de l’environnement de production en MAO
La MAO (Musique Assistée par Ordinateur) est devenue, sans qu’on s’en rende compte, un élément indispensable de notre production musicale. Pour de nombreux créateurs, elle peut apparaître comme une boîte magique promettant une vaste liberté et recelant des possibilités infinies. Cependant, j’ai le sentiment qu’il y a un « angle mort » dans cette perception commune qui est en quelque sorte négligé.
L’environnement de la MAO ne nous accorde pas une liberté absolue. Au contraire, si l’on retrace son parcours évolutif depuis l’aube des séquenceurs jusqu’à nos jours, on peut le voir comme l’incarnation d’un « processus de libération de la contrainte » – une lutte constante avec les limitations et une tentative d’amélioration au jour le jour.
Et dans ce processus d’amélioration incessant, la MAO s’est enveloppée de « contraintes subtiles » ayant leurs propres tendances uniques, évoluant et se transformant en un espace de production qui recèle des caractéristiques que l’on pourrait, en un sens, qualifier d’antimusicales.
S’il en est ainsi, alors un langage de communication distinct de la musique doit exister au sein de cet espace de production MAO – quelque chose que nous pourrions appeler le « langage DAW ».
Ce que j’entends ici par « langage DAW » est une métaphore du système unique d’opérations d’édition de la MAO en tant que ses « mots » et sa « grammaire ». Je soupçonne que cela, agissant comme une sorte d’« accent linguistique » qui oriente à notre insu notre pensée musicale, influence inconsciemment notre production musicale.
Alors, pouvons-nous vraiment dire que nous « maîtrisons » la MAO ? Ou sommes-nous, sans nous en rendre compte, tombés dans un état où nous sommes « utilisés » par la MAO ?
Dans cet article, j’examinerai la question de savoir s’il est possible pour nous, en tant que créateurs, de prendre conscience des contraintes inconscientes que la MAO en tant que médium (une « médiation » qui influence la pensée et la perception) nous impose comme une gravité irrésistible, et ensuite, de les tourner à notre avantage et de « jouer » avec elles.
La grammaire et l’accent du « langage DAW » : la forme concrète des contraintes invisibles
La grammaire du « langage DAW » que possèdent les MAO semble avoir profondément pénétré les tréfonds de notre pensée musicale. Par exemple, les paramètres par défaut que nous voyons en ouvrant une MAO – mesure à 4/4, tempo à 120, et divisions de la grille. C’est comme si la MAO nous parlait, en disant : « Composez votre musique dans ce rythme, dans cette mesure. »
L’arrière-plan d’un tempo et d’une grille d’une précision parfaite s’accompagne de la perte de ce temps musical organique qui est librement étiré et contracté par les interprètes vivants. En conséquence des premiers séquenceurs qui imposaient un timing strict et de la naissance ultérieure de la fonction de quantification pour améliorer cette contrainte, nous finissons par confiner notre musique dans un temps homogénéisé à moins d’introduire consciemment des « fluctuations ».
De plus, la « forte incitation à la répétition » apportée par des fonctions d’édition comme le copier-coller peut également être considérée comme une caractéristique proéminente du « langage DAW ».
Le copier-coller de la même phrase (utilisation répétitive), ou l’usage intensif de boucles, tout en renforçant le style de certains genres musicaux comme le minimalisme, la techno ou le hip-hop, n’a-t-il pas, je me le demande, étouffé dans l’œuf « les nombreuses autres musiques qui auraient pu être » ? Je ressens cela comme une contrainte très subtile cachée au revers de la « liberté » que les MAO offrent.
Les interfaces visuelles telles que le piano roll, les divers éditeurs MIDI, les éditeurs de forme d’onde et la fenêtre des pistes semblent également renforcer une manière de penser qui arrange le son de façon « visuelle » et « mathématique », émoussant parfois notre intuition auditive.
De nombreux exemples concrets de ces « contraintes invisibles et subtiles » pourraient être cités.
Dans notre production musicale, se pourrait-il que la grammaire et l’accent de ce « langage DAW » guident à notre insu notre musique dans une direction spécifique ? Cela pourrait valoir la peine de prendre un moment pour s’arrêter et y réfléchir.
L’illusion d’un « médium transparent » et l’autocensure de la « voix intérieure »
L’évolution de la MAO nous donne l’illusion qu’elle nous a accordé la « liberté ». La MAO est un médium entre le créateur et la musique, et elle est acceptée comme une présence évidente qui apporte la liberté de création. Mais peut-être que cette illusion même que « la MAO est un médium transparent » est le piège le plus subtil de tous.
Plus nous nous habituons à manipuler une MAO, plus nous pouvons inconsciemment autocensurer notre « voix intérieure » – ces idées intuitives, plus libres, qui ne rentrent pas sagement dans les grilles ou les tentations de la répétition – qui est très éloignée du « langage DAW ».
Cela se manifeste comme un piège psychologique, une sorte d’auto-illusion, où nous rejetons nos propres idées comme si le « langage DAW » parlé par la MAO était la norme absolue, en pensant, par exemple, « C’est trop fastidieux à faire dans une MAO », ou « Cette idée ne vaut pas la peine de consacrer les ressources de la MAO ».
En succombant à l’illusion que la MAO est un « médium transparent », cette suppression de la voix intérieure passe souvent inaperçue.
Nous sommes peut-être tombés dans un dilemme plutôt ironique : en croyant que la mise en place du meilleur environnement de production avec la technologie numérique est la voie vers une riche création musicale, et en en faisant même une fin en soi, nous finissons par suivre inconsciemment le « langage DAW » émis par le médium MAO, devenant ainsi incapables d’entendre notre propre voix intérieure.
N’y a-t-il pas dans nos cœurs des idées musicales endormies que nous avons abandonnées, en donnant la priorité à la « commodité » de la MAO ? Et cette « voix intérieure » était-elle vraiment « indigne de consacrer des ressources » ?
Se libérer du « langage DAW », ou utiliser l’« accent » : un esprit de « jeu » pour transformer les contraintes en jeu
Alors, sommes-nous « utilisés » par la MAO, ou « utilisons-nous » la MAO ?
Le premier pas pour trouver la réponse à cette question n’est autre que de prendre conscience de l’existence du « langage DAW ». En comprenant profondément ses « contraintes subtiles » et en les tournant à notre avantage, notre créativité ne pourrait-elle pas s’approfondir pour atteindre une dimension plus riche ?
Tenter de « s’écarter de la grille » ou d’« introduire une imperfection intentionnelle » dans la MAO, par exemple, afin de récupérer le « temps musical organique » et la « musique qui aurait pu être » qui ont probablement été perdus, pourrait devenir un acte d’une importance inattendue.
De plus, saisir consciemment la tentation des « fonctions d’édition de la MAO », y compris la répétition, et parfois la surmonter ou la dévier pour poursuivre la contingence et la non-linéarité mènera également à l’ouverture de nouveaux horizons d’expression.
Pour échapper au piège de l’autocensure de la « voix intérieure », il peut être nécessaire d’avoir le courage de reconnaître profondément les caractéristiques de la MAO en tant que « langage » et de « briser » consciemment son « accent » et sa « grammaire ». Je crois que c’est un esprit de « jeu » où le créateur reprend l’initiative de « celui qui est utilisé » à « celui qui utilise » dans son dialogue avec la MAO, et cela peut devenir un acte de recapturer la « prémonition d’une idée musicale ».
Cultiver consciemment une « réceptivité » au sein de l’environnement de production parfaitement équipé de la MAO, qui autorise la contingence et les éléments imprévisibles. Et, en ne tombant pas dans le piège mental de considérer l’environnement de la MAO comme le « centre absolu », mais en incorporant parfois des matériaux et des expériences extérieurs à l’environnement dans le processus de production, cela peut conduire à l’acquisition de nouvelles perspectives et d’inspiration.
L’importance de cela – la « résonance » qui naît de multiples perspectives créatives – ne serait-elle pas la clé pour créer notre propre « accent » unique ?
En prenant conscience de l’existence du médium invisible, de la « gravité » de la MAO, et en l’ajustant ou en la tournant à notre avantage, je crois que notre musique peut « voler » plus librement que jamais.
Vers une nouvelle relation avec la MAO
Être conscient de l’existence du « langage DAW » et comprendre profondément ses caractéristiques. Ce sera sûrement une clé fiable pour nous guider vers une riche créativité. En percevant consciemment la MAO non seulement comme un « outil » mais comme un « langage » avec ses propres caractéristiques, et en engageant un dialogue avec elle, je crois que la porte d’une expression musicale plus profonde et plus personnelle s’ouvrira.
En premier lieu, un outil n’est jamais un simple médium neutre. L’idéologie des humains qui l’ont créé et le mode de pensée prescrit par son fonctionnement affectent profondément l’expression de l’utilisateur.
C’est un concept connu sous le nom de « l’idéologie d’un outil », et comme Heidegger l’a discuté dans « La question de la technique », c’est la perspective que la technique est plus qu’un simple moyen ; elle possède le pouvoir de « pro-voquer » (dévoiler) le monde d’une manière particulière. Pour superviser sa propre production musicale, comprendre cette « idéologie de l’outil » est un élément crucial.
En reconnaissant la « gravité » de la MAO en tant que médium, puis en réexaminant le vrai sens de la « maîtriser », les possibilités de notre production musicale ne pourraient-elles pas être davantage élargies ?