Le silence, source de l’écriture : Réflexions sur la musique de fond pour écrire

Essais

Lorsque je me confronte à moi-même pour écrire, je n’écoute pas de musique (de fond). Je ne mets même pas d’écouteurs ; le plus souvent, je me place simplement dans le silence de la pièce.

J’évite particulièrement la « musique avec des paroles », car j’ai le sentiment personnel que l’acte de tisser des mots interfère avec un autre système linguistique – le « sens » des paroles – et perturbe mes canaux de pensée.

Cependant, ce choix d’écrire dans un « environnement calme et sans musique de fond » n’est pas simplement un acte passif d’élimination du bruit. Au contraire, je pense que c’est un processus très actif et essentiel pour écouter la « musique » du texte qui est encore à écrire.

Pour le dire de manière un peu grandiloquente, le silence qui emplit la pièce pendant l’écriture n’est pas simplement une « absence de son ». Ce silence, dirais-je, est un espace spécial pour discerner la « mélodie et le rythme » du texte à naître, et les « pressentiments et éclairs d’inspiration » qui ne sont pas encore devenus des mots.

Il existe une œuvre de John Cage intitulée « 4’33 » ». C’est une pièce sensationnelle dans laquelle l’interprète ne joue d’aucun instrument pendant quatre minutes et trente-trois secondes.

Ce que cette œuvre suggérait, ce n’était pas l’« absence de son » en elle-même, mais l’« existence d’un son intérieur » – les sons ambiants de l’environnement que le public entend pendant ce temps, ou leurs propres battements de cœur et leur respiration – et le « caractère actif de l’écoute ».

De cette manière, Cage nous a fait reconsidérer l’« écoute » à travers le silence.

Je crois que l’« environnement silencieux » de mon écriture a une fonction similaire.

L’acte d’écrire ne consiste pas seulement à créer (ou à trouver) des mots pour s’adresser à quelqu’un, mais aussi à prêter une oreille attentive à la voix qui monte de l’intérieur de soi.

Fragments de pensée, bruissement de souvenirs, vacillement d’émotions. Parmi ces « bruits » qui n’ont pas encore de structure logique, je saisis la « mélodie » qui devrait devenir le cœur du texte. Ce processus ressemble beaucoup à celui d’un compositeur qui joue avec et recherche des fragments d’une musique encore invisible.

J’ai déjà écrit dans « Contempler la composition : un modèle hypothétique pour comprendre l’acte créatif » qu’un éclair d’inspiration dans la création est « comme une graine de créativité ». On pourrait le décrire comme une impulsion vague de donner forme à quelque chose qui n’est pas encore devenu des notes concrètes, ou un sentiment de conviction que « cela doit être ainsi ».

De même, dans le contexte de l’écriture, cette « graine » est un fragment d’un « sens » plus fondamental avant qu’il ne soit exprimé en mots, et elle peut être le point de départ de toute écriture.

En un sens, le silence pendant l’écriture est peut-être un excellent studio d’enregistrement pour percevoir cette « musique intérieure » ainsi que le « contour » et la « résonance » de la prose qui est sur le point d’être tissée.

La raison pour laquelle j’évite la musique (de fond) lorsque j’écris est d’empêcher ce « langage en tant que musique intérieure » d’interférer avec la « musique entendue de l’extérieur », et dans le cas de la musique avec des paroles, d’empêcher le « sens et la structure des paroles » d’interférer les uns avec les autres.

Normalement, pour moi, ceux-ci devraient être traités par des canaux de conscience différents. Cependant, le « monde musical s’immisçant de l’extérieur » (et son « monde linguistique » des paroles) qu’est la musique de fond provoque un brouillage de ces canaux.

Dans une telle situation, le silence agit comme une sorte de fonction de « réinitialisation » pour retrouver la résonance pure du « langage ». C’est un temps de préparation et d’ajustement silencieux avant de prendre la mer des mots.

Le silence n’est en aucun cas vide. Dans la création, c’est un espace spécial pour plonger profondément en soi, pour écouter la « musique » qui n’est pas encore devenue son, et pour recevoir le pressentiment (la graine de créativité) du « texte » qui n’est pas encore devenu mots.

Ainsi, se tenir dans le silence au début de l’écriture – c’est le calme avant la naissance d’un nouveau texte, et en même temps, c’est le temps pour écouter la première note la plus importante de la « musique » qu’est l’écriture à venir.

Si nous supposons qu’une « musique de la création » résonne constamment dans nos cœurs, alors l’acte d’écrire est une tentative de visualiser cette musique intérieure sous forme de mots. Et je crois que cette tentative ne peut démontrer sa vraie valeur qu’avec le silence comme décor.

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Profil      
Masaharu

Compositeur japonais créant une musique crossover expérimentale, enracinée dans le jazz et la musique classique. Fort de son expérience dans la composition pour des productions théâtrales et des jeux vidéo, il cherche à créer de la musique avec une forte dimension narrative.